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Dossiers > Réglementation

Quels préjudices réparables en cas de dommages dus à l’utilisation de DM ?

Publié le 14 mars 2017 par Patrick RENARD
Crédit photo : eyetronic - fotolia.com

Les dommages causés par l'utilisation de dispositifs médicaux peuvent donner lieu à réparation de la part du fabricant. Les préjudices réparables sont définis par la jurisprudence. Quels sont les risques encourus par les industriels et comment ces dommages sont-ils mesurés ?

Par Véronique Fröding et Isabelle Chivoret, Avocats au barreau de Paris.

Maître Véronique Fröding

Maître Véronique Fröding

Maître Isabelle Chivoret

Maître Isabelle Chivoret

En cas de survenance de dommages liés à l’utilisation de produits de santé, tels que des DM, la responsabilité civile du fabricant est souvent recherchée sur le fondement du régime de la responsabilité du fait des produits défectueux prévu aux articles 1245 et suivants du Code Civil. L’engagement de cette responsabilité suppose que le demandeur apporte la preuve d’un dommage, de l’imputabilité du dommage au produit, d’un défaut du produit et d’un lien de causalité entre ce dommage et ce défaut. S’agissant du dommage réparable, une conception large est retenue puisque la directive 85/374/CEE du Conseil dont les articles précités sont issus vise le dommage "causé par la mort ou par des lésions corporelles". Tout dommage entrant dans ce cadre doit donc être considéré comme réparable. L'article 1245-1 du Code Civil vise quant à lui plus largement "la réparation du dommage qui résulte d'une atteinte à la personne".

Le demandeur peut-il invoquer l'anxiété comme préjudice réparable ?

Le préjudice d’anxiété d’une personne exposée à un risque non réalisé a été consacré par la jurisprudence en présence de certains risques avérés, lorsqu’il est direct et certain. D’abord reconnu comme élément du préjudice spécifique de contamination (affaire du sang contaminé), le principe de son admission en tant que préjudice autonome a ensuite été reconnu au profit des porteurs de sondes cardiaques défectueuses (Civ. 1re, 19 décembre 2006, n° 05-15.719) ou, plus récemment, des personnes exposées in utero au Distilbène (Civ. 1re, 2 juillet 2014, n° 10-19.206).

Dans ces hypothèses, il est généralement indemnisé, soit au titre des souffrances endurées par le demandeur avant la date de consolidation du dommage, soit au titre du déficit fonctionnel permanent après cette date.

En dépit de la grande diversité qui caractérise les dispositifs médicaux, les dommages pouvant donner lieu à réparation dans le cadre d’une action en responsabilité civile contre le fabricant sont définis par la jurisprudence en référence à la nomenclature Dinthilac. Celle-ci recense les postes de préjudices, de manière non limitative, en distinguant les préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux, eux-mêmes subdivisés en postes temporaires et permanents en fonction de la date de consolidation du dommage (date à partir de laquelle l’état du demandeur n’est plus susceptible d’être amélioré par un traitement médical approprié).

Les préjudices patrimoniaux : moins complexes à évaluer

Les préjudices patrimoniaux temporaires correspondent aux (i) dépenses de santé actuelles (frais médicaux, paramédicaux, pharmaceutiques et hospitaliers engagés avant la date de consolidation et restés à la charge du demandeur), (ii) frais divers (frais liés à la réduction d’autonomie : frais de transport, de logement, d’assistance par une tierce personne ou de toute nature non pris en charge par un autre poste de préjudice) et (iii) pertes de gains professionnelles (totales ou partielles).

Les préjudices patrimoniaux permanents correspondent aux (i) dépenses de santé futures (dépenses de santé médicalement prévisibles et rendues nécessaires par l’état pathologique du demandeur), (ii) pertes de gains professionnels futurs (perte ou diminution de revenus professionnels, due à la perte d'un emploi ou à la perte de chance de retrouver un emploi) et à (iii) l’incidence professionnelle (incidences périphériques touchant à la sphère personnelle du demandeur : pertes de gains ou manques à gagner).

Un arrêt rendu par la Cour de justice de l'UE (CJUE) a récemment reconnu la possibilité pour un demandeur d’être indemnisé pour des dépenses exposées à titre préventif, pour éviter des dommages corporels (CJUE 5 mars 2015, aff. C-503/13, sur le coût du retrait d’un simulateur cardiaque).

Plus abstraits : les préjudices extrapatrimoniaux

Les préjudices extrapatrimoniaux temporaires correspondent :

  • au déficit fonctionnel temporaire : incapacité fonctionnelle totale ou partielle subie dans la sphère personnelle jusqu’à la consolidation, notamment la perte de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante ou l’arrêt des activités sociales et personnelles,
  • aux souffrances endurées, qu'il s'agisse des souffrances physiques et morales du fait des atteintes à l’intégrité, la dignité et l’intimité, des traitements, interventions, hospitalisations, et rééducation, jusqu’à la consolidation
  • et au préjudice esthétique temporaire (altération majeure temporaire de l’apparence physique du demandeur).

Les préjudices extrapatrimoniaux permanents correspondent :

  • au préjudice esthétique permanent, c'est-à-dire l'altération définitive de l’apparence physique du demandeur après la consolidation,
  • au déficit fonctionnel permanent : déficit fonctionnel, physique ou psychique, qui affecte de manière définitive les capacités du demandeur, ainsi que les souffrances endurées et l’atteinte à la qualité de vie corrélatives,
  • au préjudice d’agrément : préjudice lié à l’impossibilité définitive pour le demandeur de pratiquer régulièrement une activité sportive ou de loisirs pratiquée antérieurement,
  • au préjudice sexuel (atteinte sexuelle définitive)
  • et au préjudice d’établissement : perte d'espoir et de chance de réaliser un projet de vie familiale en raison de la gravité du handicap.

L’indemnisation de ces postes de préjudice tient généralement compte de tous les paramètres individuels du demandeur. Les juges s’appuient généralement sur les conclusions du rapport d’expertise (lorsqu’il existe) pour apprécier leur existence.

De manière générale, l’indemnisation de ces différents postes de préjudice donne lieu à peu de contestation lorsque les dommages allégués sont justifiés et liés au fait dommageable, ce qui est rarement le cas en pratique. En outre, la preuve des dommages allégués peut s’avérer délicate en raison du risque de dépérissement des preuves, les dommages pouvant survenir des mois, voire des années après l’utilisation des produits de santé, comme l’illustrent notamment les contentieux du Distilbène et du Médiator.


froding@gide.com

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