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Le fabricant de DM victime de la défaillance de son organisme notifié

Publié le 08 novembre 2019 par Patrick RENARD
Anne-Christine Perroy est "Avocat of counsel" chez Simmons & Simmons. Alexandre Regniault est responsable du secteur Santé & Sciences de la Vie au sein du cabinet dont il est l'un des associés.
Crédit photo : Simmons & Simmons LLP

Dans cet article, nous avons demandé à deux experts en droit des sciences de la vie d'exposer la marche à suivre par les fabricants de dispositifs médicaux en cas de défaillance d'un organisme notifié (ON) et les recours possibles. Une situation qui se complique encore lorsque l'ON est situé à l'étranger.

Par Alexandre Regniault et Anne-Catherine Perroy, Simmons & Simmons

A l’approche de la pleine application du Règlement (UE) 2017/745 relatif aux dispositifs médicaux (RDM), les organismes notifiés sont soumis à une intense pression pour continuer à honorer leurs engagements existants, satisfaire de nouveaux clients quand ils le peuvent, tout en travaillant à obtenir une nouvelle désignation "RDM-conforme", indispensable à l'exercice de leur activité dès 2020.

Dans ce contexte, il n’est plus rare qu’un organisme notifié, débordé par l’ampleur de la tâche, soit défaillant dans l’exécution de ses obligations contractuelles (par exemple : le fait de prévoir et conduire des audits en temps et en heure), compromettant le maintien ou le renouvellement des certificats de conformité indispensables à la commercialisation des DM en Europe.

Plusieurs questions se posent alors à l’industriel.

Quelle stratégie pour éviter l’interruption de certification ?

Dans le cas d’une défaillance menaçante ou avérée de l’ON, la priorité pour l’industriel sera de tout mettre en œuvre pour obtenir ou conserver des certificats de conformité valides et couvrant l’ensemble de ses dispositifs médicaux, condition sine qua non pour la sauvegarde de ses produits – et bien souvent, pour la survie de l’entreprise.

Il conviendra d'abord au fabricant de convaincre l'ON, tout en préservant ses droits.

L’industriel devra à tout moment s’attacher à répondre aux questions et demandes de l’ON, même perçues comme tardives et/ou redondantes, pour convaincre l’ON de la conformité de ses produits aux exigences essentielles de sécurité, clé du maintien ou du renouvellement des certificats, comme de son investissement pour démontrer cette conformité. Ceci peut nécessiter de mobiliser de manière urgente des ressources exceptionnelles, à la hauteur de l’enjeu. En même temps, il lui appartiendra de rappeler l’ON à ses propres obligations, qui sont celles d’un prestataire lié à son client par un contrat de prestation de services – contrat qui, le cas échéant, peut être résilié. La ligne d’équilibre est parfois ténue. L’information, en toute transparence, de l’autorité de tutelle de l’ON, pourra s’avérer le cas échéant opportune.

Si l’ON est situé dans un autre pays de l’UE, l’industriel sera bien inspiré de rechercher le conseil d’un avocat local pour examiner le contrat, le relire et, le cas échéant, envoyer à l’ON une lettre de mise en demeure le rappelant à ses obligations, lettre qui sera plus efficace car conforme aux usages locaux.

L'industriel devra en parallèle anticiper une interruption momentanée de la certification.

Il convient d’anticiper cette situation extrême. Il s’agira, d’une part, d’informer les clients et d’aménager le circuit de distribution des produits dans la mesure du possible, afin que le maximum de produits soient valablement libérés et à la disposition des clients ou à tout le moins cédés à un tiers intermédiaire avant la date d’expiration (ou de résiliation) des certificats en cours. D’autre part, il faudra informer la ou les autorités compétentes (à tout le moins l’autorité du pays du siège de la société, et l’autorité de tutelle de l’ON si elle est différente), afin de gérer et limiter le risque et les conséquences d’une décision administrative de suspension de mise sur le marché et/ou d’utilisation des produits.

Dans certains cas, une extension « temporaire » des certificats en cours, pourra être obtenue de l’ON, avec l’aval de l’autorité compétente ; cette solution tolérée par les textes en vigueur, a pu être pratiquée dans certains cas particuliers (France, Belgique, Luxembourg).

L'industriel doit enfin préparer, le cas échéant, la transition vers un autre ON.

Pour ce faire, il convient de veiller, tant aux termes du contrat conclu avec l’actuel ON défaillant, qu’aux dispositions réglementaires en vigueur qui restreignent la possibilité pour un opérateur de changer d’ON à tout moment. La transition "partielle" (uniquement pour les nouveaux ou futurs produits ne faisant actuellement pas l’objet d’un processus d’audit) pourra parfois constituer une solution de repli.

Quid d’une action indemnitaire contre l’ON défaillant ?

Lorsque le dommage apparaît certain, l’industriel pourra en demander réparation, le cas échéant en recherchant sa responsabilité devant la juridiction compétente – sauf à obtenir, dans un premier temps, des mesures urgentes ou de sauvegarde par la voie d’une action de type "référé" reposant, quand elle est permise, sur de strictes conditions d’urgence et/ou d’évidence d’un dommage réel ou imminent.

Le juge compétent et le droit applicable :

Le droit applicable et la juridiction compétente seront le plus souvent déterminés par le contrat qui lie l’industriel et l’ON (généralement rédigé par l’ON).

Si la partie co-contractante est basée en France, le juge français sera a priori compétent ; l’avocat déterminera plus précisément quelle juridiction saisir, au vu des termes du contrat et de la nature juridique de l’autre partie (société commerciale ; établissement public ; filiale française d’un ON étranger).

Si l’ON co-contractant est situé à l’étranger, le plus souvent, toute éventuelle future action contre cet ON devra être portée devant un tribunal situé dans le pays où siège cet ON, ce dernier appliquant le droit local. L’industriel envisageant une action en justice contre l’ON, devra s’adjoindre les conseils d’un avocat qualifié localement, lequel pourra éclairer la société sur les conditions et les chances de succès d’une action en justice.

Les conditions de fond de la responsabilité de l’ON :

De manière générale, il appartiendra à l’industriel de prouver que l’ON a manqué à ses obligations, qu’elles soient contractuelles et/ou imposées à tous les ON par la législation communautaire en vigueur – là encore, le contrat sera ce que le juge saisi examinera avant tout. Mais l’industriel devra encore documenter et chiffrer les dommages dont il demande réparation, et prouver le lien de causalité entre la défaillance de l’ON et lesdits dommages. En France, un industriel au moins a pu réunir ces conditions, et engager avec succès la responsabilité de l’ON défaillant (TC Créteil, 31 mai 2016, RG n° 2015F00643).

Si un droit étranger s’applique, les conditions de la responsabilité seront dictées par le droit en question.

La quantification des dommages :

Le droit français pose le principe de la réparation intégrale des dommages, qui peuvent être de natures diverses : perte de marge, préjudice d’image, frais engagés pour faire face aux carences de l’ON défaillant (ressources humaines internes et/ou externes), frais de défense… voire dommages et coûts liés à l’interruption de l’activité de la société ; à condition, une fois encore, que ces dommages soient documentés et liés de manière certaine à la défaillance de l’ON.

L’ON aura souvent pris soin de limiter son exposition en prévoyant dans le contrat une clause limitative de responsabilité (par exemple : limitation de tous dommages-intérêts au montant des honoraires versés). Cette clause constitue une limite importante au quantum de la réparation espérée, mais peut parfois être remise en question, soit du fait de sa rédaction, soit au regard des circonstances de l’espèce (hypothèse d’une faute lourde ou intentionnelle de l’ON). Il s’agira bien souvent du dernier point, mais non le moindre, de discussion devant le juge saisi, qui appréciera l’affaire dans toutes ses circonstances de fait et de droit.


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